300 000 sans papiers, et moi, et moi et moi… *

Acte I

J’habite Paris.

fin 2014 : des camps de migrants, souvent Soudanais ou Érythréen commencent à se former autour de La Chapelle et Stalingrad

Janvier 2015 : je commence un nouveau job. A fond dans la veille techno, l’actualité politique et sociale passe au deuxième plan. Plusieurs fois, pourtant, en revenant des cinémas sur les quais du canal, je m’inquiète de ces gens qui vivent dans des tentes, à deux stations de métro de chez moi. J’y pense et puis j’oublie…

novembre 2016 : Sous l’impulsion de la Mairie de Paris, le centre de premier accueil de la porte de La Chapelle ouvre ses portes.

bon, c’est quand même sérieux cette situation des migrants, ‘faut vraiment que je me renseigne sur ce qui se passe pour ceux qui arrivent en France… Ben oui, paske bon, si on veut continuer à pouvoir claironner sur tous les toits qu’on est « Ze pays des droits de l’Homme », faudrait quand même voir à en faire un peu plus que se reposer sur des lauriers gagnés en … 1793** !

7 juillet 2017 : évacuation du camp de la Chapelle et de Stalingrad.

C’est le 34e démantèlement de camp en deux ans. Celui-là arrive finalement sur mon écran radar… Allez poulette*** ! ‘faut se bouger, là ! … Oui, mais bon… là… j’ai vacances!… Ok, ok, promis juré, quand je rentre, je vais au centre de la porte de la Chapelle.

* Début novembre 2017, le Ministre de l’Intérieur français, Gérard Colomb, a estimé que le nombre de sans-papiers en France se situait aux environs de 300 000 personnes. Source : Info migrants, 9 nov 2017
In Novembre 2017, the French Minister of Interior, Gérard Colomb, estimated the number of undocumented migrants around 300 000 persons. Source : Info migrants, 9 nov 2017.
The title is a reference the French song by Jacques Dutronc « Et moi, et moi et moi » released in 1966.

** Oui, bon … alors, ya des rabats joie que ça amuse de nous rappeler, qu’on est même pas les premiers à y avoir pensé, à cette histoire de Droits Humains …Bah … m’en fou ! On y a apporté notre pierre ! Alors on peut en être fier. Mais comme dit, faudrait voir à pas se reposer sur nos lauriers, rapport au fait qu’il reste sacrément du pain sur la planche (comme l’expliquent très bien les rabat-joie en question …)

*** « Il est des piques que je me sers moi-même avec assez de verve, mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. » Vu ?

Acte II

Au centre de premier accueil de la porte de la Chapelle, le mot « dubliné » arrive pour la première fois jusqu’à mon cerveau et je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il veut dire. J’apprends que de nombreux migrants arrivent d’Erythrée et je ne suis pas bien sûre si le pays se trouve en Afrique ou en Amérique du Sud… De retour chez moi, je me renseigne donc sur le Règlement de Dublin et dans ma tête, je mets l’Erythrée à la bonne place …

En discutant avec les bénévoles des différents associations qui font un énorme boulot d’accueil de première urgence, j’entends beaucoup de colère et d’indignation, du fait des situations humanitaires inacceptables auxquelles i.elles font face. Les explications sur les règlements et autres accords internationaux dont découlent les situations de terrain sont beaucoup plus floues, voire carrément imaginaires. Du genre : « Si c’est la France qui bloque les migrants à Calais – et pas les britanniques qui gèrent leur frontière comme des grands – c’est parce qu’il y a des accords secrets avec l’Angleterre. » … euh … secrets ?? … quand on a pas cherché, hein, parce que sinon, on tombe direct sur les Accords du Touquet. Et déjà ça, c’est pas piqué des hannetons…

Alors je décide de m’informer, et de publier au fur et à mesure, les questions que je me pose, avec les réponses que je trouve. Ainsi naquirent https://www.migrants-info.eu/ et @migrants_info

Acte III

Au départ, l’idée est d’informer, de documenter. – En mode « Martine fait du journaliste », voyez ? – Et puis, un jour, j’ai recherché le mot « migrant » sur twitter (Si vraiment vous voulez voir par vous-même, essayez, mais je vous préviens : âmes sensibles, s’abstenir…).

Des comptes comme « Vomis of Europe » (le nom a été modifié – si peu – pour préserver l’anonymat des haineux…) y déversent des monceaux de fake news* farcis d’amalgames – en mode, plus c’est gros, plus ça passe – et le tout alimente les délires fascistes des uns et les récupérations électorales des autres … oouups, je crois que ma neutralité vient d’en prendre un coup là … Et bien tant pis ! Quand des gros plein de soupe haineux s’en prennent à ceux qui sont contraints de quitter leur pays pour le simple espoir d’avoir une vie digne, voire pour sauver leur peau, la neutralité est commode, mais c’est une lâcheté.

On va faire autrement … Cette question de l’accueil des migrants fait trop massivement intervenir des aspects subjectifs dans lesquels interviennent nos angoisses et nos représentations imaginaires. Il s’agit de notre rapport à l’autre, en particulier, notre rapport à l’autre différent. Répéter, relayer, synthétiser et expliquer les faits objectifs ne suffira pas à résoudre cette crise qui n’est pas une crise des migrants, mais une crise de société. Une crise de nos sociétés prises dans un mouvement de mondialisation. Cette mondialisation qui de fait, nous met en présence d’autres différents. Tenter de s’y soustraire est un déni de réalité qui ne peut rien apporter de bon.

Il s’agit donc aussi de résoudre ces maux subjectifs – projections imaginaires et angoisses – pour qu’ils cessent de se projeter précisément sur ceux qui ont déjà bien d’autres problèmes graves à résoudre et nuisent ainsi à ceux qu’il faudrait au contraire soutenir. Or pour résoudre les maux subjectifs, il faut des mots. Des images aussi, des musiques, des films…

En plus d’un travail éditorial pour relayer toutes sortes d’informations, en les classant par thématiques afin d’en faciliter l’accès et la compréhension et pour lesquelles je continue à appliquer, autant que mes moyens me le permettent, les principes journalistiques de vérification, j’utilise également ce site et le compte twitter pour diffuser des mots contre les discours de rejet, ainsi que des images, des musiques, des films et donner mon avis, dans l’espoir de faire avancer le schmilblick du vivre ensemble sur notre planète bleue.

Dernière MAJ : 28 avril 2018

* voir cette enquête de journalistes internationaux sur la diffusion sur les réseaux sociaux, de fake-news concernant les migrants, Liselotte Mas, InfoMigrant, 2 janv 2018